1. Crystal de neige
Le mois du Simurgh agonisait. Comme un dernier râle, son souffle faisait danser les flocons de glace. Quelques minces rayons de lumière se faufilaient entre les aiguilles des innombrables conifères, vaillament, rappelant que la vie était toujours là, en sommeil.
Chacun de ses pas était une épreuve. La neige agglomérée s'évertuait à la retenir au sol, comme s'il eût fallut qu'elle se joigne à la danse immobile des sapins enneigés.
Elle était lourde, si lourde.
La tempête l'avait surprise alors qu'elle était allée vérifier les pièges, dans l'espoir d'ajouter un peu de viande au bouillon habituel. Mauvaise idée. Elle avait vu les nuages cendrés se bousculer à l'horizon. La faim avait eu le dessus.
Avec une lenteur accablante, le petit chalet se dessinait dans la brume glacée.
Plus que quelques mètres.
C'est alors qu'une crampe violente déchira tout son corps. Elle s'effondra dans la neige en criant, ses mains aggripées à son ventre.
Pas maintenant, pas maintenant, pas maintenant...
Mais un liquide brûlant s'écoula entre ses cuisses, confirmant ses craintes. L'heure était venue. Courageusement, elle se releva. Sa respiration était saccadée et créait de petits volutes de fumée blanche devant ses lèvres. Elle atteint la porte du chalet en titubant, et l'ouvrit d'un claquement sec. Sa respiration était maintenant sifflante.
Depuis le commencement, elle avait sû qu'elle devrait y faire face seule. Elle s'y était préparée, méthodiquement.
Eau chaude. Linge. Couteau.
Mais alors qu'elle ravivait les braises de l'âtre, tout son corps tremblait. Il lui semblait que sa capacité de raisonnement était réduite au strict minimum, au minimum vital. Hors ce sur quoi elle se concentrait, tout n'était que ténèbres. Elle aurait voulu tout abandonner, et simplement pleurer, pleurer tout son saoûl. Mais les crampes, de plus en plus rapprochées, la rappelaient à l'ordre. Aucune bataille n'était aussi douloureuse que celle de donner la vie.
Elle s'allongea, déjà en sueur et échevelée.
Les heures passèrent, résonnant de ses cris, de ses pleurs. Nulle âme douée de conscience pour l'entendre. Chaque seconde passée, chaque seconde à venir, était une lame de plus qu'on tournait dans sa plaie.
Enfin, la délivrance. Elle avait des étoiles dans les yeux. Pas celles du bonheur, celles qui précèdent l'évanouissement. Elle déversa sur son visage le reste d'eau de la bassine, pour rester éveillée.
Déjà, l'autre criait. Une fille.
Mon bébé. Mon petit flocon de neige. Synae...
Simurgh était mort. Dans la noirceur qui précédait la naissance de Kimeros, une mère et son nouveau né s'endormirent.