[BG I] Désillusion

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[BG I] Désillusion

Messagepar Synae le Dim 15 Nov 2009 19:04

1. Crystal de neige

Le mois du Simurgh agonisait. Comme un dernier râle, son souffle faisait danser les flocons de glace. Quelques minces rayons de lumière se faufilaient entre les aiguilles des innombrables conifères, vaillament, rappelant que la vie était toujours là, en sommeil.

Chacun de ses pas était une épreuve. La neige agglomérée s'évertuait à la retenir au sol, comme s'il eût fallut qu'elle se joigne à la danse immobile des sapins enneigés.

Elle était lourde, si lourde.

La tempête l'avait surprise alors qu'elle était allée vérifier les pièges, dans l'espoir d'ajouter un peu de viande au bouillon habituel. Mauvaise idée. Elle avait vu les nuages cendrés se bousculer à l'horizon. La faim avait eu le dessus.

Avec une lenteur accablante, le petit chalet se dessinait dans la brume glacée.

Plus que quelques mètres.

C'est alors qu'une crampe violente déchira tout son corps. Elle s'effondra dans la neige en criant, ses mains aggripées à son ventre.

Pas maintenant, pas maintenant, pas maintenant...

Mais un liquide brûlant s'écoula entre ses cuisses, confirmant ses craintes. L'heure était venue. Courageusement, elle se releva. Sa respiration était saccadée et créait de petits volutes de fumée blanche devant ses lèvres. Elle atteint la porte du chalet en titubant, et l'ouvrit d'un claquement sec. Sa respiration était maintenant sifflante.

Depuis le commencement, elle avait sû qu'elle devrait y faire face seule. Elle s'y était préparée, méthodiquement.

Eau chaude. Linge. Couteau.

Mais alors qu'elle ravivait les braises de l'âtre, tout son corps tremblait. Il lui semblait que sa capacité de raisonnement était réduite au strict minimum, au minimum vital. Hors ce sur quoi elle se concentrait, tout n'était que ténèbres. Elle aurait voulu tout abandonner, et simplement pleurer, pleurer tout son saoûl. Mais les crampes, de plus en plus rapprochées, la rappelaient à l'ordre. Aucune bataille n'était aussi douloureuse que celle de donner la vie.

Elle s'allongea, déjà en sueur et échevelée.

Les heures passèrent, résonnant de ses cris, de ses pleurs. Nulle âme douée de conscience pour l'entendre. Chaque seconde passée, chaque seconde à venir, était une lame de plus qu'on tournait dans sa plaie.

Enfin, la délivrance. Elle avait des étoiles dans les yeux. Pas celles du bonheur, celles qui précèdent l'évanouissement. Elle déversa sur son visage le reste d'eau de la bassine, pour rester éveillée.

Déjà, l'autre criait. Une fille.

Mon bébé. Mon petit flocon de neige. Synae...

Simurgh était mort. Dans la noirceur qui précédait la naissance de Kimeros, une mère et son nouveau né s'endormirent.
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Re: [BG I] Désillusion

Messagepar Synae le Dim 15 Nov 2009 19:06

2. Là-bas, au delà de la forêt

Ses petites jambes la portaient avec une rapidité impressionnante. Les hautes herbes se penchaient sur son passage, une salutation courtoise qu'elle ignorait avec tout le dédain innocent d'une enfant de neuf ans.

Elle se laissa enfin tomber sur un lit de verdure, son petit corps secoué d'un fou rire entrecoupé par ses tentatives pour reprendre son souffle. L'éblouissant soleil la baignait dans son onde chaleureuse. Tout n'était qu'or et miroitement.

La forme rassurante assise élégament à ses côtés la regarda un instant avec bienveillance avant de retourner à son travail de couture.

Encore une robe ?
Dans les palais, les petites filles bien éduquées ne portent jamais deux fois la même robe.

Dans les palais... Son regard se perdit dans l'infinité bleue du ciel, les rares nuages se métamorphosèrent en bâtisses superbes, en salles immenses décorées de dorures, en visages souriants, en silhouettes au port altier...

Mère, où sont tous ces gens, si beaux et intelligents ? Vous m'avez souvent raconté comme la vie était douce et passionante quand vous viviez parmi eux. Pourquoi n'est-ce plus le cas ?

Sa mère posa sur elle un regard mélancolique alors qu'un sourire tendre ornait ses lèvres.

Un jour, tu seras parmi eux, mon enfant. Un jour, si Aion le veut...
Père est-il avec eux ?

La petite fille eu à peine le temps de voir les yeux de sa mère se remplir de larmes, que cette dernière les baissa. Synae enserra tendrement le corps maternel entre ses bras frêles, sans comprendre.

Tu ferais mieux de rentrer ma fille, murmura-t-elle. Thelleyn ne va pas tarder.

Synae suivit la recommendation de sa mère. En effet, le vieil homme arriva peu après, portant un large sac chargé de livres, comme d'habitude. Elle les observait par les interstices entre les planches du mur alors qu'une brise légère portait leurs paroles jusqu'à elle. Il lui présentait des livres et selon les commentaires de sa mère, les lui laissait ou les rangeait dans son sac.

Non, pas celui-ci, Thelleyn.
Il est très instructif, les données géographiques datent un peu mais...
J'ai dit non. Elles ne datent pas assez pour qu'Elyséa y soit représentée comme elle devrait.


Le vieil homme resta un instant immobile, semblant se demander s'il valait mieux parler ou se taire.

Combien de temps encore penses-tu lui cacher... Il fut coupé sans ménagement.
Le temps qu'il faudra. C'est mon affaire.

Un nouveau silence s'installa avant que l'homme reprenne d'une voix adoucie.

Aelnya, quand me la présenteras-tu ? Tu sais bien que je ne lui ferais jamais de mal...
Elle resta silencieuse, le regard fixé sur le sol.
Merci pour les livres, Thelleyn...

Il soupira avec résignation, ramassa son sac en la saluant d'une voix tendre et s'en fut.

La fillette le regarda disparaître au milieu des sapins. Elle avait la gorge serrée, le ventre noué.

Pourquoi me cache-t-elle ? Pourquoi ? Pourquoi le laisse-t-elle partir ? Je veux le voir, moi aussi, lui parler, l'écouter, lui demander comment c'est, là-bas, au delà de la forêt, lui demander de m'y amener...

Les larmes coulaient doucement sur ses joues empourprées par l'indignation. C'était décidé. Cette fois, elle allait le suivre.
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Synae
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Re: [BG I] Désillusion

Messagepar Synae le Dim 15 Nov 2009 19:06

3. Du sang couleur améthyste

La petite fille avait observé attentivement la direction dans laquelle l'homme était parti. Elle attendit quelques instants, accroupie, le temps de sécher ses larmes, avant d'aggriper son panier en osier et de sortir en trombe de l'habitation. Passant devant sa mère sans lever les yeux, elle bougonna :

Je vais chercher des myrtilles pour ce soir.

Aelnya la regarda marcher à grandes enjambées vers une direction différente de celle de Thelleyn. La venue de l'homme perturbait la fillette à chaque fois, aussi ne s'inquiéta-t-elle pas outre mesure.

Synae contourna la prairie qui abritait le chalet jusqu'à retrouver les traces fraîches des pas du visiteur, imprimées dans la mousse tendre et humide qui recouvrait l'humus. Elle les suivit sur plus d'une lieue, sans croiser nul autre être vivant que quelques elrocos qui s'enfuyaient sur son passage. Malgré son apparence âgée, Thelleyn marchait trop vite pour qu'elle ne le rattrape. Elle décida de continuer à avancer, mais entreprit de ramasser sur le chemin les petits fruits qui constituaient son alibi.

Bientôt, les arbres se firent moins denses, la forêt moins obscure. Elle entendit alors un bruit sourd et lançinant qui la fit dévier de son chemin. Des coups répétés, du bois qui craquait. Rien n'aurait pu contrer sa curiosité, son désir de rencontrer un autre être humain.

En effet, elle aperçu bientôt une forme sombre, une silhouette de taille impressionante, un homme, abattant avec une force maîtrisée son énorme hache de fer rouillé sur des rondins de bois. Une veste d'un cuir grossier, déchirée par endroits, tâchée à d'autres, et qu'il portait sur sa peau nue, collait à son dos en sueur. Sa peau était d'un gris sale, une barbe broussailleuse cachait une partie de son visage maculé par la crasse. Des veines rouge vif parcouraient son nez, il empestait l'alcool.

Synae ne voyait pas tout cela. Elle voyait un être humain, une conscience, un homme doué de parole. Un trésor, si convoité à ses yeux. A pas légers, elle s'avança vers lui, timide mais souriante. Elle lui adressa la parole de sa voix fluette et innocente juste après qu'il ait laissé sa hache fracasser le bois une nouvelle fois.

Bonjour... Monsieur... Voudriez-vous quelques myrtilles ?

Elle tendit une main frêle tâchée de traces violettes, emplie de petites baies.

En entendant ce qui était pour lui à peine plus qu'un couinement, l'homme se crispa sous l'effet de la surprise et tourna la tête vers la petite fille d'un mouvement vif.

En à peine une seconde, la curiosité qui s'exprimait sur son visage se transforma en une pure expression de haine. Ses sourcils se froncèrent, ses traits se tirèrent, sa bouche s'élargit en un sourire bestial qui laissait entrevoir de rares dents noircies.

Les petites baies s'éparpillèrent sur le sol de la forêt en une pluie sinistre et s'écrasaient dans des éclats de sang couleur améthyste alors que Synae se mit à trembler, transpercée par son regard sadique.

L'homme raffermit sa prise sur sa hache et sembla se recroqueviller, comme prêt à passer à l'attaque. Tous ses muscles paraissaient tendus quand il murmura quelques paroles d'une voix grasse et rocailleuse.

T'm'auras pas, sale petite vermine... J'vous connais vous autres, salopards... Un corps de mioche, mais ça vous écartèle les tripes en un clin d'oeil... Tu vas crever, sale rat d'albinos !

Les yeux emplis de l'orgueil bien connu des soldats qui protègent leur patrie, il leva sa hache au-dessus de ses cheveux plaqués par la sueur et s'élança vers l'enfant.

Synae n'eut que le temps de frémir de tout son petit corps avant que ses jambes ne l'emportent à toute vitesse.

La maison, à la maison, rentrer à la maison...

Les hurlements de la voix caverneuse la poursuivaient. Des paroles qu'elle ne comprenait pas mais qui la blessaient comme autant de haches s'abattant sur son corps, ouvrant autant de plaies qui semblaient ne jamais pouvoir se refermer.

Tu peux courir, monstre ! Ton odeur de chiennasse à la peau blanche me répugne tant que je pourrais te sentir à des lieues à la ronde !

Son rire de fanatique envahissait la forêt, envahissait sa tête, y déferlait comme une armée enragée mettant à sac tout ce qu'elle savait, tout ce qu'elle espérait, tout ce qu'elle était.

Tu vas crever, Elyséenne abjecte ! Toi, et toute ton exécrable race !

La voix se faisait plus lointaine, un écho effrayant qui continuait de l'atteindre. Ses pieds étaient en sang, les branches cinglaient ses bras et ses jambes, comme si la forêt elle même s'était retournée contre elle. Mais rien n'était aussi douloureux que cette nouvelle naissance à la réalité du monde, et à la réalité de son être qui semblait en être répudié.
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