Guidé par la curiosité

[Gratte-Papier]

L'homme posa enfin pied à terre. Un si long voyage. Trois semaines de bateau. Plus jamais espérait-il. Malheureusement le voyage du retour ne se ferait pas à la nage... Aussi il était resté ces derniers jours anxieux et peu amène. Une chape de plomb s'évada de ses entrailles. Il se sentait libre. Libre de marcher, de voler. Il s'étira, traversa les dernières lattes du ponton et respira à plein poumons.

Il inspecta les deux bâtisses. Le Coche du Placet et le Comptoir des Maraudeurs. Drôles d'appellations. Pas une âme qui vive dans les environs, à priori. L'homme réajusta sa tenue, passa la paume de sa main sur le tissu afin qu'il paraisse moins froissé. Les vêtements n'apprécient guère les longs voyages dans des malles. Il faudra faire avec.

Il se vêtit de son chapeau et vérifia qu'aucun livre ne manquât dans sa besace. Fin prêt.
Appréhension le retint encore. Demi-tour ! Tu n'as rien à faire ici ! Retourne parmi les tiens! cria-t-il.

Non.

L'homme déglutit et s'avança.

[Gratte-Papier]

Plusieurs marins l'avaient alertée de cette embarcation qui s'approchait de l'île, à priori sans y avoir été invitée puisqu'elle n'attendait personne en particulier. Saraban s'était donc placée sur une des petites collines bordant le port, de là elle pu apercevoir ce fameux petit bateau. Elle l'observa s'approcher du port, s'amarrer sans réel problème. Ses yeux se plissèrent lorsqu'un homme en descendit, elle le suivit du regard lorsqu'il se dirigea vers le Comptoir...

Tiens tiens, un diplomate ?
Comment il sait où on vit celui-là ?... marmonna t-elle

La jeune femme renifla sèchement et entreprit de descendre de son perchoir pour rejoindre le visiteur impromptu. Arrivée en bas de la colline elle accéléra le pas, rejoignant le port en quelques enjambées.

L'homme était là, devant la porte du Comptoir des Maraudeurs, et elle ne l'avait jamais vu avant, ce qui augmenta encore d'un cran sa méfiance. Et où était Sissel d'abord ?

Vous êtes qui vous ? Maugréa t-elle à peine arrivée à sa hauteur.

[Gratte-Papier]

Surpris, il se retourna. L'homme au chapeau considéra la jeune femme. Il sentit quelques frémissements lui parcourir le corps. Il avait encore la tête sur les épaules après tout, ce n'était donc pas si mal engagé.

- On me nomme Giandomenicao.

Il abaissa son visage et sortit de sa besace une vieille carte décrépie et délavée. Un morceau du papyrus se déchira lorsqu'il l'extirpa. Giandomenicao pesta et se maudit. Il présenta la carte à son interlocutrice, se demandant si elle le prenait déjà pour un fou. Sans doute. Et après ?
Il désigna une croix de son index. Elle indiquait un archipel.

- Je recherche les chasseurs de trésors. La Cohorte. Je suis au bon endroit ?

Giandomenicao garda le bras tendu, le parchemin offert à la vue de la jeune femme. On aurait plutôt cru à une farce... Et pourtant l'hurluberlu parlait, respirait et vivait.

[Gratte-Papier]

Saraban cligna des yeux plusieurs fois d'affilée, toute rogne subitement envolée. Elle finit par se reprendre et fronça les sourcils en signe de méfiance, ses gestes semblaient brusques mais elle se saisit de la carte avec une délicatesse qui tranchait avec l'apparence abrupte du personnage.

Ses yeux parcoururent le papier avec soin et considération, c'était vieux, en mauvais état, forcément un peu précieux. La pulpe de son pouce vint doucement caresser l'emplacement de l'archipel sur la carte. D'où venait ce plan ? Son visage se fit un peu plus soucieux...

Ça se pourrait bien oui. Et qu'est-ce que La Cohorte pourrait vous apporter ?

Le regard d'or de la Louve scrutait chaque mouvement de Giandomenicao, chaque frémissement de visage.

[Gratte-Papier]

Giandomenicao sourit. Il plissa son épaisse barbe de sa main, songeur. Il se félicita de cette trouvaille, cette carte. Après avoir rencontré l'oeil d'or, suspicieux, de son interlocutrice l'homme au chapeau ressentit un malaise. Son regard glissa sur les alentours, décrivit les roches escarpées et les flots sombres. L'endroit lui parut singulièrement intimidant. Il s'éclaircit la gorge.

- Je représente des... personnes, un groupe. Ils sont guidés par la curiosité. Il marqua une pause dans son discours avant de poursuivre. Voyez-vous ils sont eux aussi, si je puis dire, des chasseurs de trésors. Tout comme vous non ? Ces personnes se demandent si leurs intérêts vont à l'encontre des vôtres ou au contraire les rejoignent...

Son propos dévoilé il tendit la main afin de récupérer la précieuse carte.

[Gratte-Papier]

Saraban plissa les yeux avec un peu plus d'insistance, ce qui fronça son nez et lui donna un air étrange, fripon, malicieux mais d'où le soupçon émergeait toujours. Elle savait qu'il existait plusieurs sortes de chasseurs de trésors. Il y avait La Cohorte qui s'évertuait à cacher ce qui devait l'être, ceux qui chassaient pour la gloire, l'argent et d'autres encore qui n'étaient intéressés que par le pouvoir que pouvaient leur apporter certains de ces trésors.

Comme nous ? Souffla t-elle en lui rendant doucement la carte. Ça dépend pourquoi, comment vous chassez.

Ses yeux glissèrent sur la main de Giandomenicao qui se saisit du plan, elle la fixa quelques secondes avant de revenir accrocher le regard de l'homme.

Pour ou contre vous ? Un mince sourire étira ses lèvres. Ça dépend de vos... Intérêts.

[Gratte-Papier]

Giandomenicao se racla la gorge. Il jugea les réponses qui lui vinrent à l'esprit. Ne pas se rabaisser à de vulgaires chasseurs de trésors. Ils sont bien plus que cela. Le savoir est une denrée rare, prisée et chère. Toute connaissance est un trésor. L'intrépide devient l'érudit et le courageux le sage.
Qu'était la Cohorte ? De simples chasseurs, des bandits, des mercenaires, des illuminés ? Un tout bien plus sombre et dangereux, un groupe éloigné de la réalité des rumeurs ?
Il se le demanda et admit n'avoir aucune réponse.

- Mes maîtres ne recherchent pas l'or ou la gloire. Leur intérêt se porte sur des choses moins... triviales. L'Histoire, par exemple. Qu'étaient nos ancêtres, qu'étions-nous ? La mémoire trompe-t-elle, les écrits mentent-ils ? Quels choix opèrent les scribes dans ce traitement des faits ?
Il grimaça un sourire.
- ... Ce qui est hermétique et essentiel.

Il plia la carte en quatre et la glissa dans les plis de ses vêtements chauds. Le climat n'était pas réputé pour sa clémence.

[Gratte-Papier]

Saraban hocha simplement la tête. Même s'il était difficile de ne s'appuyer que sur des dires pour l'heure elle n'aurait probablement que les paroles de cet homme pour se fier... A lui justement. Mais qu'importe, dans pareille situation elle n'aurait eu également que ses mots pour le convaincre sir la situation avait été inversée.

Son attitude changea du tout au tout, de suspicieuse elle passa à curieuse, de fermée elle passa à malicieuse. Il semblait que son humeur changeait au gré du vent, telle une feuille vulgairement ballotée.

La jeune femme lui fit signe de la suivre, elle l'invita à entrer dans le comptoir avant de refermer derrière lui.

'fera moins froid ici. Installez vous dit-elle simplement en lui montrant un siège, elle s'assit en face de lui.

Et qui sont vos fameux Maîtres alors ? Puisque apparemment leurs visions des choses se rapprochent des nôtres, autant aller droit au but.

[Gratte-Papier]

Il la remercia d'un hochement du visage et s'assit à son tour. La chaleur de bâtisse, diffuse, le revigora quasi-instantanément. Il se massa les mains, ôta son chapeau qu'il posa sur la table avant de revenir vers son interlocutrice. Il s'aperçut qu'il ne savait même pas qui elle était.
Giandomenicao observa l'intérieur du bâtiment. Il s'était attendu, dès son départ, à quelque chose de très fastueux. Les rumeurs amplifient beaucoup de choses.
Tout en devisant il caressait, plissait machinalement sa barbe épaisse. Son regard allait tantôt dans le vague, tantôt il fixait son interlocutrice somme toute attentionnée.

- Mes maîtres sont des Daevas. Ils se font nommer les Funestes Réminiscences de la Tour. Ils portent leur attention sur toute chose, tout savoir, qui se rapporte à eux et aux Daevas en général. Moi-même suis d'humble condition et ne me permettrait pas de prétendre connaître leurs véritables motivations. Je ne suis le porte-parole que de ce qu'ils veulent dire.
Leur histoire remonte aux temps anciens... sans qu'ils ne le sachent eux-mêmes, parfois. Certains sont amnésiques.

Il sourit.

- Je risque de vous ennuyer si je continue. J'ai par contre... Il se baissa et sortit de sa besace un livre. Ceci. Je vous l'offre. Je ne doute pas que vous ou d'autres personnes de La Cohorte sachent lire. Y est compilée l'histoire de mes maîtres.

[Gratte-Papier]

Funestes Réminiscences de la Tour ? C'est un peu long comme titre non ? Souffla t-elle dans un demi sourire.

Des daevas qui s'intéressaient à eux-mêmes et à l'histoire des daevas. Jusque là rien qui sortait bien de l'ordinaire. Les plumés avec tous, ou presque, cette fâcheuse manie de ne s'intéresser plus qu'à eux passé un certain temps de vie.
Du moins c'était ce qu'elle avait vu jusqu'à aujourd'hui, peut-être cherchaient-ils quelque chose de plus précis.

Notre histoire aussi remonte à loin. Qu'est-ce qu'ils cherchent de si intéressant dans leur propre histoire ? Demanda t-elle plus pour elle même que pour son interlocuteur.

Son regard s'illumina lorsqu'il lui tendit l'ouvrage. Elle hocha simplement la tête en le prenant, ses mains glissant dessus délicatement comme si elle avait caressé un être cher.

Je le lirai avec attention. Mais je... N'ai rien à vous donner en retour dit-elle en fronçant les sourcils. Qu'est-ce que vos maîtres attendent ?